Il y avait peu, le roy s'était fait offrir par Tenim, un ambassadeur marocain, des animaux fort étonnants. De grands volatiles, à ce que l'on disait, mais qui ne volaient guère, ou fort bas, et qui étaient étonnement grands, perchés sur d'immenses pattes et possédant un long cou. La curiosité était à son comble parmi les courtisans, et Louis le quatorzième jubilait de voir ainsi sa Cour impatiente. Même la marquise de Montespan, la favorite en titre, elle-même n'était parvenue à soutirer plus amples informations à son royal amant. La reine Marie-Thérèse quant à elle, semblait tout au contraire bien indifférente à ce nouveau divertissement et préférait de loin rester au chaud en son appartement à déguster chocolat chaud sur chocolat chaud en compagnie de ses nains. Les dames de compagnie ne cessaient, discrètement, de tanner Athénaïs pour qu'elle leur transmette des informations sur ces animaux appelés "autruches" et que personne ou presque n'avait encore vu. Incapable de répondre aux attentes de ses amies, le souverain étant bien trop secret, la belle marquise décida donc de se rendre en secret à la ménagerie, où les animaux étaient secrètement gardés jusqu'au jour de l'inauguration de leur habitat, jour auquel enfin chacun pourrait contempler avec étonnement et émerveillement ces animaux exotiques. Mais vouloir faire patienter comme tout-un-chacun Athénaïs, c'était bien mal connaitre les Mortemart.
Bref, ni une ni deux, durant un moment de pause où la reine Marie-Thérèse souhaitait rester seule pour se reposer et où les dames de compagnie avaient quartier libre, notre favorite enfila sa cape et son manchon pour affronter le froid tardif du mois de mars, et se dirigea vers la ménagerie, accompagnée d'un valet. Il fallait cependant demeurer discrète. Si le roy apprenait qu'elle s'y était rendue, sa curiosité pourrait lui couter cher...
Le trajet parut long, et il fallait dire que la ménagerie n'était pas tout à coté, mais la marquise y parvint, après avoir croisé et menti sur sa direction auprès de divers courtisans qui l'avaient saluée sur son passage. Elle ne tarda pas à soudoyer le dresseur qui gardait les animaux avec une bourse remplie de deniers, afin qu'il la laisse passer. Athénaïs ordonna à son valet de rester à la porte de que courir la prévenir si quelqu'un approchait.
Elle pénétra enfin dans ce lieux où elle s'était rendue avec le roy en personne il y avait de cela encore quelques semaines, afin qu'il lui montre ses nouveaux chevaux espagnols et ses lions venus d'Afrique. Elle chercha du regard l'endroit où pouvaient se trouver les fameuses autruches. Les caquètements ne tardèrent pas à la mettre sur la voie. Elle s'approcha d'une alcôve qui donnait sur un terrain non-encore occupé, du moins au su des courtisans. Et elle ne s'était pas trompée. Sur une terre séparée par des grilles, se trouvaient là les animaux les plus surprenants qu'il lui avait été donné de voir. Son ami d'Aquin lui avait montré un jour des gravures d'autruches dans un livre, mais les voir en réalité pour la première fois était réellement impressionnant. Bouche bée durant un moment, la belle marquise n'en revenait pas. Ces animaux étaient étonnants. Il y en avait quatre. Les autruches semblaient s'être plutôt bien acclimatées, malgré le froid, à leur nouvel environnement. Deux d'entre elles se couraient après en battant des ailes gaiement. Athénaïs ne put s'empêcher de rire en les voyant faire.
Soudain, un coup de vent ramena la marquise à la raison. Elle était venue, elle avait vu (les autruches) et avait vaincu (l'ignorance dont tout le monde souffrait). Il était à présent temps de rentrer, car si elle se faisait prendre en flagrant-délit, il y avait fort à parier que la dispute ferait du bruit.
Prenant ses jupes en mains, la marquise se dirigea alors vers la sortie. Mais alors qu'elle était presqu'arrivée au porche d'entrée du bâtiment, il lui sembla entendre des bruits de pas...