[dans le rôle de Stéphane de Laubespin (pour changer, n'est-ce pas ?), médecin]
A croire que sa chance lui était donnée ces derniers temps. Le médecin de Monsieur avait, semblerait-il, eu quelques soucis dont il discutait avec force confrères, dont lui-même. Fi du secret médical, l'important était maintenant de sauver le frère du roi, pendant que ce dernier lui tenait la main quelque part dans sa chambre. Qui savait bien ce qui pouvait se passer lorsqu'on laissait Monsieur et Sa Majesté ensemble ? Ils pouvaient aussi bien s'entendre que se haïr cordialement ; ils pouvaient aussi bien se faire des coups tendres que des coups bas. Mais bon... L'important n'était pas là. L'important était de sauver le frère du roi. Stéphane s'était tenu coi pendant toute la durée de l'entretien entre tous ses confrères, préférant de loin écouter toutes les possibilités qui s'offraient à lui. Un empoisonnement... vraisemblablement efficace, et probablement dirigé vers Sa Majesté elle-même ! Tout simplement ! Rien que ça ? On ne se gênait plus, à notre époque, n'est-ce pas ? Bientôt, on s'en prendrait à une personne aussi innocente que la Reine elle-même... Enfin bon !
Stéphane n'était pas sans ignorer ce qu'impliquait tout cela. Il n'était pas célèbre en tant que médecin, bien sûr, il pourrait même dire que cette absence de renommée était voulue, mais il ne pouvait pas non plus se dire dénué d'instruction pour autant ! Au contraire, il profitait de sa tranquillité pour ainsi dire parfaite pour parfaire ses connaissances dans tous les domaines relatifs à la science d'Hippocrate. Il pouvait en conséquence se dire en toute modestie assez bon médecin, capable à l'occasion de soigner des maladies peu fréquentes ou méconnues. Et cette affaire d'empoisonnement sur la personne de Monsieur ne manquait pas de l'intriguer, tout en le navrant : ses célèbres confrères étaient-ils donc si incompétents ?! Ou du moins si ignorants dans une matière aussi redoutable que les poisons... n'avaient-ils jamais écouté, dans leur pédanterie, les propos des gens de la campagne, des rebouteux et autres sorciers et mages blancs ? Stéphane les avait écoutés, lui, tout comme l'avait fait par le passé son père, celui qui lui avait appris une grande partie de la science médicale. Une si belle science, qui en valait la peine, à condition de ne pas la limiter aux découvertes d'Hippocrate ! Non, vraiment, il était plus que nécessaire de changer toutes ces choses ; et il était tout aussi nécessaire de sauver le frère de Sa Majesté.
Le baron quitta la pièce aussi silencieusement qu'il y était demeuré pendant un bon moment, et personne ne s'aperçut réellement de son départ. Il était une ombre parmi tant d'autres, n'est-ce pas ? Silencieux, le plus souvent immobile, le visage impénétrable malgré l'air de bonté répandu sur tous ses traits... Voilà le baron de Laubespin tel qu'il était au quotidien pour tous ceux qui se retrouvaient face à lui, patients ou amis, collègues ou membres de sa famille. Tout le monde avait droit au même traitement, ses enfants et ses patients, ses amis et ses collègues. Il ne brillait ni par son arrogance, ni par sa vanité, ni par son insatiable soif de gloire, comme le faisait un type comme d'Aquin. Il n'était pas non plus un passionné d'Hippocrate, comme l'étaient la grande majorité de ses collègues. Il n'était qu'un médecin qui brillait par sa discrétion... et de temps en temps par son efficacité, lorsque ses soins étaient assez portés à la célébrité. Autrement dit, rarement. Le médecin se rendit dans ses appartements, récupérant ses menues affaires et sa robe noire par la même occasion, lui qui ne détestait pas se balader vêtu normalement la plupart du temps. Il se rendit ensuite dans la chambre de Monsieur, se fit annoncer. Les valets ne tardèrent pas à annoncer sa présence à la porte, quand bien même le roi était présent ; car Monsieur venait de perdre connaissance, et l'on s'apprêtait justement à appeler un médecin lorsque le baron était survenu.
Il se précipita vers le lit sur lequel gisait le frère du Roy, s'empressa de palper la gorge enflée sans même saluer le souverain. Les convenances attendraient plus tard ! Il y avait urgence, et il pouvait bien espérer que le roi comprenne son point de vue, aussi contraire à l'étiquette fut-il. Il ne tarda pas à s'apercevoir que les muscles étaient enflés et bloquaient la trachée. Pour décoincer la situation, une seule solution, solution de force... Il s'assit sur le lit, prit le prince sur lui et lui imprima un violent coup au niveau du diaphragme. Philippe d'Orléans fut pris d'un violent spasme avant de retrouver sa respiration... temporairement. Le médecin lui fit avaler une mixture au goût infect dans le but de décongestionner ses bronches et la trachée obstruée au plus vite. En attendant, il surveillait attentivement la respiration du jeune homme, veillant à ce qu'il ne s'étouffe pas à nouveau. Son regard croisa un instant celui du roi, et baissa légèrement les yeux, ces yeux bleus si semblables à ceux de sa fille.
- Sire, Monsieur, veuillez pardonner mon audace uniquement due à l'urgence de la situation...