Marie-Elisabeth, dite Isabelle, de Ludres

Mme de Ludres ne fait certes pas partie des esprits les plus brillants de la Cour, mais elle lance parfois de bons mots très appréciés que son accent rend plus savoureux encore. Elle a grandi parmi les chanoinesses de Poussay et s'est vue très jeune l'objet des attentions du duc de Lorraine ; tout cela renforce son penchant naturel à une certaine naïveté, dont elle a cependant appris à jouer au contact de la Cour. Car elle n'est pas aussi innocente qu'il pourrait y paraître : sa mère et sa grand-mère, en Lorraine, l'ont accoutumée à l'art des intrigues. Elle manque juste de ce soupçon de discernement qui permet d'intriguer avec brio. La chanoinesse est avant tout très distraite, ce qui entraîne souvent des situations cocasses. Elle aime séduire, mais principalement par jeu, ne cédant en réalité que fort peu de choses à ces messieurs. Enfin, Mme de Ludres ne craint pas d'affecter un penchant pour les plaisirs de toute sorte et les futilités du paraître. L'idée qu'on lui a transmise de son haut et ancien lignage, ainsi que l'expérience d'avoir manqué de peu de devenir duchesse de Lorraine entretiennent chez elle une certaine vanité, mais sans malice ni calcul.

Chacun s'accorde à lui prêter une grande beauté de visage : une peau d'un blanc parfait, de grands yeux verts malicieux, et une bouche aux lèvres généreuses. Ses cheveux blonds ont naturellement ces reflets roux que d'autres cherchent à obtenir par de vains artifices. De taille assez grande par rapport aux autres dames de la Cour, elle sait mettre en valeur ses formes voluptueuses depuis qu'elle en a réalisé le pouvoir de séduction. Certaines dames de la Cour raillent un accent lorrain dont elle ne peut se départir, et exagèrent quand elles l'imitent ou parlent d'elle son léger défaut d'élocution ; mais ces messieurs trouvent le détail fort charmant. Mme de Ludres est enfin une élégante, qui a gardé de la Cour de Lorraine le goût des riches étoffes et d'une surabondance d'ornements précieux.

Marie-Elisabeth, née en 1647, est issue d'une famille prestigieuse en Lorraine, descendant des premiers ducs de Bourgogne. Selon l'usage, elle fut nommée dès son enfance chanoinesse de Poussay, où elle passa sa jeunesse. Rien de véritablement austère, cependant, dans ce chapitre de dames nobles où l'on tient un rang plutôt qu'on ne se consacre à Dieu. A l'âge de 15 ans, elle fut remarquée par le sulfureux duc Charles IV de Lorraine, qui séjournait souvent dans les environs pour la chasse et faisait régulièrement halte à Poussay. Le duc, bien qu'alors déjà âgé et bigame, s'enticha d'elle et alla même jusqu'à faire célébrer leurs fiançailles au château familial de Richarmesnil ; ce fut là la première fois qu'elle comprit le pouvoir qu'avait sur les hommes sa beauté. Elle connut alors les plaisirs de la Cour de Lorraine, s'enivrant des bals que le duc donnait pour elle. Il s'en était fallu de peu qu'elle ne devienne duchesse de Lorraine, mais le destin en avait décidé autrement. Quand le duc en épousa finalement une autre en 1665, elle tenta en vain, sur les conseils de sa mère, de faire valoir ses droits en vertu des fiançailles ; la menace d'accusation de crime de faussaire et de lèse-majesté la fit cependant céder, et elle se retira à Poussay. Pour peu de temps, à vrai dire, car son parent le maréchal du Plessis, attaché au service de Monsieur, l'avait introduite à la Cour de France en tant que dame d'honneur de Madame. Elle y fit sensation et eut très vite autour d'elle une foule de galants, en particulier messieurs de Vendôme et de Vivonne dont la rivalité l'amusait beaucoup. Mme de Montespan, d'ailleurs, favorisait le rapprochement de son frère avec la chanoinesse... Après la mort de Madame, elle est passée au service de la Reine, toujours en qualité de dame d'honneur. Pour l'heure, Isabelle est une parmi tant d'autres, mais déjà elle regarde avec intérêt ce roi de France qui est si plaisant...