* Athénaïs, le lendemain du bal, s'était levée tôt, non pas qu'elle n'était pas fatiguée, mais une angoisse pesante l'avait prise. Elle ne pouvait se sortir de la tête l'idée que Louis souhaite mettre dans son lit Angélique de Laubespin. Pourtant, la marquise l'avait considérée comme son amie, et il lui avait semblé que ce sentiment était réciproque. De plus, cette jeune femme semblait totalement indifférente à la vie de Cour, voilà qui avait rassuré de prime abord la favorite. Mais c'était alors qu'une chose invraisemblable s'était produite: Angélique avait fait son entrée à la Cour le jour du départ pour Saint-Germain, et le Roy l'avait invitée en personne à voyager avec eux. A peine arrivés à Saint-Germain, Claude des Oeillets, sa femme de chambre, avait fait part à la marquise de certaine rumeur qu'elle avait entendue, concernant les intentions du Roy envers cette jeune baronne.
Cette idée lui avait trotté dans la tête tout au long de la soirée de la veille, ainsi qu'une bonne partie de la nuit avant qu'elle ne finisse enfin par s'endormir. Le matin, elle s'était réveillée en sueur tant elle avait fait des cauchemars. L'heure était bien matinale, mais impossible de se rendormir. Elle avait fait demander à sa femme de chambre de lui faire couler un bain, dont elle profita longuement histoire de se calmer et de se remettre les idées en place. Ensuite, elle s'était préparée, aidée des dames à son service, pour passer la journée en compagnie des dames de la Reine et de la Reine elle-même.
Elle sortait d'un des salons, s'apprêtant à rejoindre lesdites dames dans le salon suivant lorsqu'elle fut interceptée par la voix d'Anglique de Laubespin. Celle-ci l'appelait, on aurait dit qu'elle avait couru tous les couloirs du château dans on-ne-savait quel but, telle une échevelée. Comble de l'audace, elle l'appelait par son prénom! Du moins son sobriquet, celui que ses amis lui donnaient. Là, Athénaïs fit les gros yeux, vraiment fort peu contente de croiser cette personne en cette heure et en ce lieu. La marquise détourna lentement le regard, les yeux toujours grands ouverts et ronds comme des soucoupes jusqu'à se poser sur le visage d'Angélique. *
-Espérez-vous donc que j'aie de la pitié pour vous, Mademoiselle?
* Elle l'avait appelée "mademoiselle" pour bien signifier qu'en cette heure, elle ne la considérait ni comme son amie, ni même comme une "dame" de la Cour, mais tout simplement comme une "fille" qui se trouvait à présent en face d'elle. Regardant l'espace d'une seconde au dessus d'Angélique, elle reposa à nouveau son regard sur elle. Un regard qui se voulait sec, sans aucun sentiment ni aucune attention particulière. *
-Et pourquoi le devrais-je? ajouta-t-elle avec un sourire ironique. Vous devrais-je quelque chose, par le plus grand des hasards?
* Une grande envie de hurler la prit, mais bien entendu, elle se contint. L'art du paraitre et de dissimuler ses pensées et ses sentiments, ce n'était pas à elle qu'on allait l'apprendre. Esquissant un mouvement de haussement d'épaule, fort gracieux soit dit en passant, Athénaïs planta ses iris azur dans celles de la jeune baronne et répliqua.*
-Soit, dans la grande bonté qui peut être la mienne, je consens à vous écouter, puisque vous semblez souhaiter me faire part de quelque chose. Mais soyez brève, j'ai autre chose à faire que de vous écouter.
* Un regard qui signifiait "j'attends" succéda à l'expression neutre qui précédait. *