Désir d'enquête (PV: Delalande)

Un carrosse facilement reconnaissable comme venant de Versailles s'engagea dans les allées boueuses de Paris. A l'intérieur le Comte de Chalais éternellement impassible. Il avait tiré les pièces de tissus qui obstruaient les vitres de sa voiture. Il ne préférait pas se faire remarquer dans la capitale et éviter toutes manifestations, sympathiques ou (plus probable) hostiles, venant de la population. Le véhicule arrivait maintenant dans les quartiers de la police qui abritait l'administration sévère de La Reynie.

Le carrosse du Comte de Chalais continua quelques mètres et se stoppa enfin plus loin. Le Comte de Chalais y avait la ferme intention d'y rencontrer, selon ses renseignements, un certain Delalande, homme de La Reynie. C'est à lui que voulait s'adresser le ministre du Roi de France pour une affaire précise pour laquelle il préféra se déplacer lui-même.

Un valet sauta du carrosse pour accourir à la porte du bâtiment pour annoncer le Comte de Chalais. Celui-ci non loin de là descendait, avec précaution, de sa voiture. Un inconnu vint l'accueillir avec un grand épanchement en cajoleries auquel le Comte préférait rester froid. On l'introduit dans le bâtiment et on l'installa dans une pièce agréable, le Comte fit mander le dénommé Delalande et demanda à s'intretenir avec lui.

On pouvait dire sans fausse modestie que les affaires allaient bon train. Un simple artisan aurait été content de prononcer cette phrase... pas les forces de police, hélas. Car le genre d'affaire était de celui qu'on essaie d'éviter le plus possible. Depuis les rumeurs venant de Versailles, ils croulaient sous les demandes d'enquêtes, accusant telle ou telle personne d'avoir été victime d'un empoisonnement ou d'un sortilège. Certaines demandes - accusant un valet d'avoir donné le rhume à son maître - avaient amusé l'assemblée des policiers. D'autres en revanche, les laissaient perplexes, et parfois même arrachaient des grimaces aux plus courageux d'entre eux.

Empoisonnement... Toujours la même chose. Alban en avait usé trois carnets... trois carnets de remarques, de croquis, d'aveux, de questions... La Reynie l'encourageait dans son travail, mais il lui arrivait de buter sans savoir où se rendre ensuite.
Ce jour-là, il avait rendez-vous avec un grand de Versailles. Sans doute lui aurait-on parlé de lui, ou l'aurait-il remarqué posant des questions à qui se présentait devant lui dans les couloirs du splendide château de Louis XIV (très grand, le château...). Enfin, peut-être qu'il la résoudrait vite, cette enquête.

Un subordonné vint lui annoncer que "Monsieur le Comte de Chalais" l'attendait dans la pièce à côté. Alban respira un bon coup, puis alla à la rencontre de cet homme. Quand il le vit, il s'inclina bien bas.*

- Bonjour, Monsieur le Comte... Suivez-moi dans le bureau, j'écouterai votre requête. Votre déplacement s'est-il bien passé ?

Delalande se présenta au Comte et l’invita à le suivre dans une autre pièce, le Comte demanda à son valet de l’attendre. Par politesse, le jeune homme s’informa des bonnes conditions de voyage du Comte, auquel celui-ci ne répondit que par un signe de tête qui n’offrait aucune réponse précise. Dans cette autre pièce dans laquelle ils entrèrent, les deux hommes s’installèrent en silence autour d’un bureau. Le Comte conservait une expression totalement neutre et prit le premier la parole d’un ton franc.

- Evitons de perdre du temps en politesse inutile, je tiens à être direct. Avant de m’entretenir d’avantage avec vous, je tiens à m’assurer que les discours qui seront tenus ici ne sortiront pas de cette pièce. Je ne souhaite pas que les évènements qui m’amènent chez vous, rendu public, en motivent d’autres à de nouvelles tentatives.

Avant d’obtenir la confirmation de celui-ci et l’assurance de son plus grand silence, le Comte de Chalais reprit la parole. L'expression d'empressement se faisait ressentir dans ses discours. Il ne souhaitait perdre aucune minute vis-à-vis de cette affaire dont il entretenait une grande rancune.

- J’ai pris la décision de me déplacer jusqu’à vous suivant ce désir de discrétion. Vous inviter à Versailles aurait suscité bien plus de rumeurs. Je m’adresse à vous car M. De La Reynie ne tient ses ordres que du Roi en personne. On m’en a donc remis à vous, vous désignant comme son adjoint le plus adroit et le plus compétent.

Le Comte de Chalais laissa planer suite à ces paroles un lourd silence, qu’il souhaitait voir combler par un semblant de confirmation de ce qu’on avait bien pu l’informer sur de Delalande.

*Alban put voir sans détour que le Comte de Chalais était un homme qui ne s'embarrassait pas des détails inutiles. Il dut alors interpréter son signe de tête comme une réponse affirmative à la question qu'il venait de lui poser.
Ils entrèrent dans le bureau. Le policier lui désigna une chaise, lui-même alla s'asseoir de l'autre côté du bureau. A peine fut-il assis que le Comte commença à parler, ne laissant guère l'occasion à Alban d'ajouter son grain de sel à la conversation. Enfin, si on pouvait appeler ça une conversation, vu que seul la voix du Comte se faisait entendre. Alban fut déstabilisé quelques secondes, et dut vite se reprendre afin de ne pas laisser échapper un détail important. Enfin, pour le moment, il n'en donnait aucun. Il s'agissait juste d'une mise en bouche. Mais vu les paroles du Comte et le ton qu'il prenait, l'affaire semblait des plus importantes et des plus intéressantes.
Quand un semblant de silence s'installa, il inspira pour répondre.*

- Je dois dire que je suis... touché, c'est le mot... des compliments que l'on vous a adressé à mon égard. Je comprends que vous vouliez rester discret. Beaucoup de personnes le souhaitent en ce moment, avec tout ce qui se passe. Je vous écoute donc...

*Il prit un papier et une plume qu'il trempa dans l'encre, prêt à noter ce que le Comte avait à dire.*

- Quelle est l'affaire qui vous tracasse ?

- "Qui me tracasse"? Vous employez des mots bien peu convaincants, Monsieur Delalande. Fit remarquer le Comte d'une voix qui se refroidissait, trait de scepticisme.

Son ton ne désemplit guère pour s'avérer ensuite totalement glacial. L'affaire avec l'Espagne dont le Roi l'avait entretenu la veille remettait bien en cause les services de la justice royale et par la même ceux de la police sur lesquels Chalais gardait un œil bien attentif et un sentiment rigide.

- En effet, je veux bien croire volontiers le désir de discrétion de chacun lié à une affaire qui le compromettrait et pourtant ça n'a pas empêché que ces affaires soient parvenues jusqu'à l'étranger.

Le Comte de Chalais n'exprima aucune attente suite à cette critique ouverte. Il en revint au sujet de sa présence, résoudre au plus vite cette affaire mystérieuse qui l'entourait. Les sujets parallèles seraient à traiter plus tard.

- Je ne souhaite pas que mon affaire soit traitée comme une quelconque autre. Je requiers votre efficacité dont on a bien voulu m'en vanter les mérites ainsi que votre exclusivité la plus entière. C'est un geste bien maladroit que celui, ou celle, qui a voulu intenté à ma personne.

Chalais marqua une pause pour tenter de contenir la colère qui commençait à se témoigner.

- Et c'est un nom que je veux. Il eut ensuite une expression désagréable sur le visage, s'avancer désormais dans les détails lui déplaisait. Hélas, j'ai été sujet aux soins d'un procédé de "disparition" bien banal: le poison. J'imagine que celui-ci n'a plus de secrets pour vous …

*On ne pouvait pas dire qu'Alban appréciait le Comte de Chalais. Il n'avait rien de chaleureux, ni de très sympathique. Le genre de personne devant lequel on passe sans oublier de s'incliner bien bas sans attendre de réponse. Car il ne fallait pas être un génie pour deviner que cet homme était quelqu'un d'important.
Il attendit avant de prendre des notes. Pour le moment, le Comte ne faisait qu'effleurer la surface du problème. Le poison, bien sûr... qu'est-ce que ça pouvait être d'autre ?! C'était le sujet à la mode, sans mauvais jeu de mot.
En tout cas, il semblait bien exigent sur la manière dont devait être menée l'enquête. C'était assez énervant de se faire entendre dire comment il devait travailler. Son exclusivité ? Il avait déjà tant d'affaires en cours ! Mais il aurait été malvenu de refuser. Il sentait bien qu'un mot du Roi suffirait à le renvoyer dans sa campagne.*

- Très bien... Je veux bien prendre votre affaire en main. Si on a essayé de vous empoisonner, il y a des risques que cette personne cherche à recommencer, sans vouloir vous effrayer. Aussi, je voudrais que vous me mettiez au courant de toutes les informations que vous auriez pu déjà récolter. Et si vous auriez parmi vos connaissances quelqu'un qui serait prêt à en arriver à ces extrémités.

*A voir le Comte, il était sûr que la liste était bien longue. Mais il garda ses commentaires pour lui.*

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